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dimanche 18 avril 2021

Des jours sauvages de Xavier Molia - Dérangeant

Une centaine de personnes ayant fui une grippe qui ravage l’Europe se retrouvent naufragés sur une île déserte. Quel que soit leur passé, ils vont apprendre à vivre ensemble et à s’adapter à leur nouvel environnement d’autant plus facilement que cette terre au milieu de l’océan est accueillante : il suffit de tendre la main pour y trouver eau douce et nourriture. Cette mécanique va pourtant se gripper tandis que l’espoir d’une arrivée rapide des secours s’évanouit peu à peu. Des tensions naissent alors entre ceux qui voient l’île comme l’occasion de créer une autre vie loin de la grippe qui ravage l’Europe et ceux qui souhaitent la quitter au plus vite. L’animosité entre les deux groupes ne va cesser de s’amplifier avec des conséquences dramatiques…

 

L’intrigue est intéressante et se démarque des classiques scénarios de survie : il ne s’agit pas de la lutte d’hommes et de femmes contre une nature hostile qu’ils essaient de fuir, mais du conflit entre ceux qui imaginent pouvoir construire une nouvelle société en repartant de zéro et ceux qui espèrent retrouver rapidement leur pays d'origine. Ceux-ci sont alors perçus comme un danger, car ils risquent de révéler au monde ce sanctuaire, embryon d’un monde différent. Le lecteur va donc assister à l’inconsciente descente aux enfers de ces naufragés que la folie ou le rêve délirant de certains va conduire à commettre les pires atrocités au nom du progrès.

 

Après avoir tourné la dernière page de ce livre, j’ai un sentiment partagé. D’un côté, je n’ai pas été conquis par le style, notamment les « flashbacks » pas toujours identifiables ou les incises d’un inconnu qui intervient brièvement de temps à autre sans que cela n’apporte rien au récit si ce n’est de la confusion. De l’autre côté, j’ai souvent voulu connaître l’issue du drame qui se jouait sur ce confetti perdu au milieu de l’océan et j’ai donc prolongé ma lecture. Avec le recul, je pense qu’il manque à l'histoire une dimension importante, la dimension verticale, spirituelle oserais-je dire. Les personnages, si nombreux qu’on s’y perd un peu dans les premiers chapitres, manquent d’épaisseur, de caractères, de complexité. Les drames s’enchaînent trop simplement, trop logiquement en raison du manque d’humanité des acteurs de cette tragédie. La barbarie prend vite le pas sur la dignité humaine au sein des survivants. On pense alors aux limites des slogans ambiguës comme « La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres » ou à cette citation de Karl Marx : « Toute classe qui aspire à la domination doit conquérir d’abord le pouvoir politique pour représenter à son tour son intérêt propre comme étant l’intérêt général ». D’une certaine manière, on voit au fil des pages se créer un micro-État soviétique et apparaître la cohorte d’atrocités qui l’accompagne. Au fil des changements des règles du « vivre ensemble » sur l’île, la conscience de ses habitants va se déliter et la situation ne va cesser que de dégénérer. Je ne dirai rien du dénouement si ce n’est qu’il est tristement réaliste et interroge sur l’état de notre société. C’est en cela que ce livre est dérangeant.

 

Je reste donc sur ma faim. Xavier Molia a pris un risque en s’attaquant à un thème rendu célèbre par Sa Majesté des Mouches de William Golding. Son approche originale du sujet aurait pu lui permettre de se démarquer, mais son récit est trop linéaire et ses personnages manquent de profondeur et de complexité pour apporter ce supplément d’âme…

 

 

Les plus : Une approche originale du thème des survivants, un réalisme dérangeant, une barbarie humaine plus évoquée que décrite, …

 

Les moins : Des personnages trop superficiel, un manque de profondeur dans le récit

 

Ma note : 6/10

 

Pour Adultes

 

Contrôle Parental :

Sexe et nudité : #

Violence et sang : #

Langage et caractère offensant : #

Alcool et drogue : #

Effrayant et scènes intenses : #

 

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ISBN : 978-2021460070

Editions Le Seuil

samedi 10 avril 2021

L’attaque du Calcutta-Darjeeling d'Abir Mukherjee - Un excellent premier roman

Si vous aimez les romans policiers et souhaitez quitter les sombres rues londoniennes et voyager vers l’orient, ce livre est fait pour vous ! Étant bien moins doué que l’auteur pour cela, je ne ferai pas durer le suspense : J’ai beaucoup apprécié cette première enquête du capitaine Sam Wyndham.

Fraîchement arrivé en Inde après avoir survécu aux sanglantes batailles de la Première Guerre mondiale, notre policier est chargé d’une investigation extrêmement délicate : un haut fonctionnaire britannique a été assassiné alors que des émeutes éclatent dans certaines provinces du pays. Est-ce un assassinat politique ? Ou plus simplement un règlement de compte dans les hautes sphères du gouvernement ? La situation se complique encore suite à l’étrange attaque du train Calcutta-Darjeeling. Le représentant de Sa Majesté devra enquêter en eau trouble aidée par un officier indien récemment sorti de l’école de police et tiraillé entre son devoir et son pays. Ce premier roman est vraiment une belle réussite. Plusieurs raisons à cela… 

La qualité de l’intrigue tout d’abord. De facture classique, elle n’en est pas moins intéressante, de nombreux individus pouvant en vouloir à la victime pour des motivations très différentes. Politique en raison d’un étrange message trouvé dans le bouche du cadavre, économique du fait du rôle influent du dignitaire dans l’activité de la colonie, personnelle aussi, le sahib ayant été égorgé non loin d’une maison de passe dans un quartier mal famé de Calcutta.

 

Les personnages ensuite qui participent aussi au plaisir de lire. Le héros a quitté l’Europe pour essayer d’écrire un nouveau chapitre de sa vie frappée de plein fouet par la Grande Guerre. Il ne semble n’appartenir à aucun monde et porte un regard décalé sur ce peuple singulier qu’il découvre. Les rôles secondaires sont tout aussi intéressants. Je pense au sergent Banerjee qui fait équipe avec Sam Wyndham et hésite sur la manière d’aider son pays de cette période incertaine. Discret, son humour fait mouche et fait souvent naître un sourire aux lèvres du lecteur. Je pourrai aussi citer le pasteur protestant ami de la victime ou encore l’indépendantiste suspecté du meurtre.

 

L’Inde enfin, élément essentiel de l’intrigue que l’on découvre au fil des pages : chaleur étouffante, paysages colorés, plantations de thé… La région est sous domination britannique depuis 1757 englobe à l’époque le Pakistan et le Bangladesh. Des tensions apparaissent entre les indigènes et les Anglais qui portent sur le pays un regard avant tout économique. La complexité du contexte historique influe largement sur la trame du récit et lui donne une richesse supplémentaire. L’auteur et su éviter la caricature dans la description de cet Empire britannique en déclin même si peu d’Anglais trouvent grâce à ses yeux. C’est un exercice pas facile qu’a par exemple aussi réussi Fabien Claw dans les aventures du capitaine Gilles Bellemonte qui se déroulent peu de temps après la Révolution française et dont je vous ai parlé dans cette chronique.

 

L’attaque du Calcutta-Darjeeling se lit donc avec beaucoup de plaisir. Ses nombreuses facettes lui permettent de se démarquer des multiples romans policiers qui inondent les librairies chaque année, souvent plus sombres les uns que les autres. Alors ce premier tome ne sera pas le dernier à trouver sa place sur ma table de nuit…

 

Les plus : Un dépaysement certain, un contexte historique peu connu, des personnages attachants, de l’humour, une enquête de facture classique, mais plus complexe qu’il n’y paraît

 

Les moins : Peu de chose… La dépendance à l’opium du personnage principal ?

 

Ma note : 9/10

 

Pour Adultes et Adolescents

 

Contrôle Parental :

Sexe et nudité : #

Violence et sang : #

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ISBN :  978-2072914706

Editions Folio

samedi 27 mars 2021

Insurrection - Robyn Young - Si vous avez aimé Braveheart…

Hiver 1286, Écosse. Le roi Alexandre III est assassiné. Il n'a aucun descendant. Débute alors une lutte pour le trône qui durera de nombreuses années.

 

Robert de Bruce , Seigneur d'Annandale, s'oppose à Jean de Bailleul dans une rivalité pour la fonction suprême. L'évêque de Saint-Andrews sollicite alors le roi d'Angleterre Edouard Ier pour arbitrer ce conflit. L'ambition de ce dernier qui souhaite réunir sous sa bannière l'Écosse, le Pays de Galle et l'Ireland, le pousse à favoriser Jean de Bailleul qui a le soutien de la très influente famille Comyn. Celui-ci est reconnu roi en novembre 1292.

 

Robert de Bruce ne renonce pas au trône, mais, devenu trop âgé,  incite son petit-fils qui porte le même prénom à reprendre le flambeau et attendre patiemment son heure. En ces temps incertains, des alliances se nouent et se brisent au fil des conflits, des mariages et des révoltes paysannes.

 

Insurrection est le premier tome d'une trilogie qui relate la vie de Robert Ier qui sut unifier l'Écosse et gagner l'indépendance de son royaume. Tous les ingrédients sont réunis pour faire de cette biographie romancée un récit épique : des guerres ravagent l'Europe, le roi d'Angleterre rêve d'étendre son pouvoir au-delà de ses frontières, des familles puissantes se vouent une haine profonde depuis de générations et les paysages grandioses des Highlands espèrent voir s'affronter les forces en présence dans une bataille aussi violente que les orages qui balayent parfois la région.

 

J'ai vraiment été conquis par ce roman. Il ne faut pas être rebuté par les 700 pages, mais plutôt se laisser attirer par la belle couverture qui annonce la tonalité du livre. L'auteur s'appuie sur une base historique impressionnante et l'enrichit en interprétant ses zones d'ombres, en la complétant lorsque nécessaire afin de plonger le lecteur dans cette époque passionnante maintenant révolue. Les personnages prennent vie devant nous. On voit Robert de Bruce hésiter entre sa fidélité au roi Édouard Ier et la  promesse faite à son grand-père, on découvre la brutalité de la révolte menée par Robert Wallace et rendue célèbre par le film Braveheart de Mel Gibson, on s'immisce dans les luttes de pouvoir et les alliances qui font et défont les frontières. On suit avec intérêt le destin de figures qui ont réellement existé et celui de chevaliers, écuyer ou paysans créés par Robyn Young pour donner une substance aux anonymes de l'histoire.

 

Cette immersion au Moyen Âge est particulièrement réussie lors des combats qui émaillent le récit. On se perd au cœur des attaques et de leur violence. Vous ressentez la peur des fantassins lorsque la cavalerie anglaise charge, le sol tremblant sans les sabots des centaines de destriers lancés au galop sur le champ de bataille. Vous attendez le choc dont la violence n'aura d'égal que la douleur des soldats broyés dans l'affrontement. Robin Young a un talent certain pour raconter les assauts et transformer quelques lignes en une fresque dantesque.

 

Alors oui, si vous avez aimé Braveheart, vous plongerez avec plaisir dans Insurrection…

 

Les plus : Un habile mélange entre biographie et récit épique, réaliste mais sans violence inutile, passionnant !

 

Les moins : Un rythme parfois un peu faible

 

Ma note : 9/10

 

Pour Adultes et Grands Adolescents

 

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Sexe et nudité : #

Violence et sang : #

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ISBN : 978-2265089860

Editions  Fleuve Eds

dimanche 7 février 2021

Lyao-Ly - Patrice Guirao - Léger et dépaysant

J'avais beaucoup aimé Crois-le, le premier volume des aventures d'Al Dorsey, détective privé à Tahiti. 


C'est donc avec plaisir que j'ai retrouvé notre héros atypique dont la fiancée manchote Lyao-Ly a été sauvagement aspergée d'acide par des mafieux et placé en coma artificiel à l'hôpital pour lui éviter d'atroces souffrances. Oscillant entre dépression et colère, il est prêt à tout pour la soigner. Cela l'amènera à prendre des risques et à plonger dans le monde du trafic d'art amateur et à fréquenter un étrange sorcier local.

 

Le récit est beaucoup plus léger que ce résumé pourrait le laisser penser. L'humour un peu décalé et tirant parfois sur le noir est bien présent. J'ai souri à de nombreuses reprises au fil des pages et certaines répliques font mouche. On aurait presque envie de les noter. L'autre atout du livre réside dans la galerie de personnages hauts en couleur qui entourent Al : Sa mère Mamie Gyani toujours touchante et douce, mais aussi ses amis Sando ou Toti dont la personnalité sonne juste malgré le côté caricatural donné par l'auteur à certains traits de leur caractère. On s'attache à eux. C'est ce délicat équilibre entre sérieux et humour, exagération et simplicité, rebondissements et sérénité qui donne toute sa saveur au récit, sans parler de l'amour que l'écrivain porte à son île et qui transparaît au fil des pages. On découvre les différentes facettes de Tahiti aux côtés de notre enquêteur favoris lors de ses pérégrinations sur les plages ensoleillées ou les quartiers populaires de Papeete.

 

Est-ce donc un sans fautes ? Pas tout à fait. Le scénario n'est pas à la hauteur des autres dimensions du livre évoquées ci-dessus. Le roman démarre lentement et j'ai compris trop tôt certains éléments de la chute. Cela a légèrement réduit le plaisir bien réel que j'ai eu à accompagner Al dans son enquête. Enfin, le côté "mystique" d'un point important de l'intrigue, même s'il est compréhensible  sur le plan culturel polynésien, ne collait pas avec ma personnalité peut-être trop cartésienne. Je sais cependant que d'autres ont au contraire apprécié cet aspect du récit.

 

Que ces quelques points ne vous ôtent pas l'envie de lire Lyao-Ly même si je l'invite à débuter par le premier volume Crois-le (10/10) qui est selon moi "un cran au-dessus". On passe vraiment de bons moments à arpenter avec notre détective cette île magnifique, à découvrir ses couleurs, ses odeurs, à s'immiscer dans les conversations et écouter les dialogues savoureux qui nous renvoient parfois aux films des années Audiard. Alors oui, je lirai certainement le troisième volet de ses aventures !

 

Les plus : Des personnages attachants, un récit plus profond qu'il n'y paraît, beaucoup d'humour

 

Les moins : Une intrigue moins riche que celle du Tome 1

 

Ma note : 7/10

 

Pour Adultes et Adolescents

 

Contrôle Parental :

Sexe et nudité : #

Violence et sang : #

Langage et caractère offensant : #

Alcool et drogue : #

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ISBN : 978-2367341859

Editions  Au Vent des Iles

dimanche 3 janvier 2021

11h14 - Glendon Swarthout - Un style unique

On pourrait résumer le style de ce roman atypique en une citation (la vulgarité en moins) que l'on trouve au milieu du récit  : "Les cow-boys sont la preuve vivante que les Indiens enculaient les bisons". Avouez-le, vous avez au moins souri à la lecture de ces quelques mots quelque peu décalés que le héros Jimmie, écrivain pour enfants de son état, découvre en arrivant dans la petite ville de Harding où il est venu enquêter sur la disparition récente du dernier amant de son ex-femme !

 

Cela dit, 11h14 est une œuvre bien plus ambitieuse que cette brève introduction pourrait le laisser paraître. C'est un savant mélange de western, d'enquête policière, de satire sociale, le tout parsemé de bons mots qu'on aimerait mémoriser afin de pouvoir les utiliser soi-même. Je n'ai malheureusement ni le talent ni le style de l'auteur…

 

Rien de prédestinait donc Jimmie à enquêter sur une étrange disparition. Se faire tirer dessus par des trafiquants américano-mexicains sans trop comprendre pourquoi, ce n'est vraiment pas son truc. Dandy new-yorkais vêtu d'un costume élégant et chérissant une vieille Rolls-Royce, il préfère écrire les aventures de Frisby, une mouche qui voyage de pays en pays à la découverte du monde. C'était sans compter sur Tyler son ex-femme qui le convainc de partir enquêter au Nouveau-Mexique sur la mort de son dernier favori. Elle est convaincue que cet événement est lié à sa tragique histoire familiale.

 


Glendon Swarthout nous tient en haleine grâce à deux récits parallèles : la vie tumultueuse des grands-parents de Tyler d'un côté à l'époque ou l'Amérique profonde s'apprêtait à tourner la page de la justice expéditive pratiquée au Far West, la recherche de la vérité que notre héros au courage très aléatoire, mais au sens de la répartie indéniable de l'autre. On navigue entre deux époques. Un monde s'écroule en 1910 emportant avec lui ceux qui en faisaient la gloire et l'écho de sa chute se répercute jusqu'au vingtième siècle au travers de la famille de Tyler. Marier avec autant de brio une saga familiale, une fusillade mythique digne des plus grands westerns et une enquête policière nécessite un grand talent. L'auteur a su trouver un délicat équilibre entre drame et humour, grâce notamment à cette galerie de personnages hauts en couleur que le lecteur découvre au fil des pages.

 

11h14 est donc un roman dépaysant que je recommande chaleureusement ! Je prends même le parie que vous inviterez vos amis à le lire aussi…

 

Les plus : Un style décalé incomparable, le mariage improbable entre différents styles de livre, des personnages

 

Les moins : Quelques passages qui réservent ce roman aux plus grands

 

Ma note : 9/10

 

Pour Adultes

 

Contrôle Parental :

Sexe et nudité : #

Violence et sang : #

Langage et caractère offensant : #

Alcool et drogue : #

Effrayant et scènes intenses : #

 

Achetez 11h14 surAmazon.fr

ISBN : 978-2-35178-573-7

Editions Gallmeister

samedi 2 janvier 2021

Blake et Mortimer : le Cri du Moloch - Une suite de trop ?

 

Ce vingt-septième album de Blake et Mortimer fait suite à L'Onde Septimus et clôt ainsi une trilogie dont la mythique Marque jaune de Jacobs avait sans le savoir marqué le commencement. Notons que Cailleaux remplace au dessin Antoine Aubin qui avait été désagréablement surpris par les méthodes du scénariste Jean Dufaux. Dans ce nouvel opus on apprend l'existence d'un deuxième vaisseau extra-terrestre Orpheus enfoui dans Londres, dont l'occupant encore en vie (nom de code : Moloch) parvient à s'évader malgré les efforts de l'armée et des scientifiques déconcertés. Les précédentes mésaventures d'Olrik avec un alien similaire venu de l'espace (mésaventures qui lui ont fait perdre la raison et sombrer dans une prostration ponctuée d'une étrange litanie) font de lui la clé pour arrêter cet alien déconcertant qui veut faire coloniser la Terre par les siens et peut changer d'apparence.

Cela fait quelques années que les successeurs d'E.P. Jacobs repartent à l'époque des jeunes années des deux protagonistes et explorent les interstices chronologiques des premiers tomes. Le pari osé mais magnifiquement réussi du Bâton de Plutarque se déroulait entièrement avant le mythique premier tome, Le Secret de l'Espadon, tandis que plus récemment La Vallée des Immortels démarrait en embrayant justement sur la dernière scène des espadons. En scénarisant L'Onde Septimus avec aux planches Antoine Aubin, dessinateur rompu de Blake et Mortimer, Jean Dufaux prévoyait déjà une aventure en deux tomes qui explorerait l'enfance et l'origine d'Olrik, lui redonnerait sa sombre aura et une personnalité plus approfondie que sa présence systématique tout au long de la série avait pu affadir. Si suite (grâce ?) à la volonté de l'éditeur on n'en apprit finalement pas plus sur le père de l'antagoniste, le deuxième objectif avait été mené avec bonheur dans L'Onde Septimus. Par précaution, cet opus avait connu de multiples recoupes jusqu'à avoir une fin autonome (Olrik et Blake font tout sauter : la menace est anéantie même si on n'a pas forcément tout compris). Et de fait cette séquelle de la Marque jaune, assez inattendue (je veux bien croire que bien des fans n'aient pas apprécié cette nouvelle orientation), m'avait beaucoup plu. D'une part parce que ce n'était pas une "suite" de la Marque jaune au sens où elle aurait repris les mêmes enjeux et mécanismes comme on continue une même guerre avec la bataille suivante. Septimus avait bel et bien disparu sinon comme projection dans l'esprit enfiévré du colonel, et c'était une entité étrange, Orpheus, un scaphandre enfermée dans un tube de verre quelque part dans une épave éboulée sous Londres, qui en utilisant l'onde Méga de Septimus avait mis pied dans notre monde et perturbait les expériences de Mortimer sur les travaux du savant fou comme ceux des nouveaux adversaires qui tentaient de ressusciter la Marque jaune. Les visions et les troubles étaient bien dosés, et la part de mystère et d'inachevé donnait tout son sel à l'album : le lecteur à la fin n'est pas sûr en reposant la bande dessinée d'avoir tout compris de cette créature désespérée et si dangereuse qui répète toujours ce même mot à travers son impénétrable scaphandre : "Asile !" Le ton de mystère, la nouveauté scénaristique qui évite la suite répétitive, et l'exploration plus sombre et plus intime d'un Olrik miné par ses fantasmes et par les drogues qu'il prend pour s'en sortir, tout cela pouvait ou plaire ou fâcher. Cela m'avait plus.


D'emblée précisons-le : je suis déçu par Le Cri du Moloch. Certes cette suite clôt les interrogations et comble les trous de L'Onde Septimus. Oui il y a de bonnes idées. Bien sûr que la lecture est agréable comme toujours (ou presque) avec les successeurs d'E.P. Jacobs. Sur le plan du dessin, le "Moloch" évite esthétiquement les pièges et dangers du kitsch ou du trop-flou qu'on peut redouter quand le scénario met en scène un extra-terrestre. Le mode opératoire de la créature a son charme : elle doit tracer des signes et des hiéroglyphes mystérieux sur les murs pour préparer la venue des siens, mais est tenue en échec parce que l'un des mots qu'elle doit écrire a été dérobée de son esprit par Olrik lorsqu'elle était en contact avec la Marque jaune via l'onde Septimus. Et soulignons que le décor ambient reste agréable sous la plume de Cailleaux. De nouvelles idées font tout à fait tenir l'ensemble et donnent sa spécificité à l'intrigue au milieu de la longue collection des Blake et Mortimer.

Mais finalement la sauce ne prend pas. Là où L'Onde Septimus faisait un agréable retour tout en prenant une tournure nouvelle et incertaine, ce dernier opus donne plus l'impression de venir finir de racler les filons du précédent. Il achève toute les voies et répond aux questions, mais ce faisant le goût de mystère et de fantastique s'envole ; là où la dernière planche de L'Onde Septimus me laissait sans voix comme la meilleure des non-fins, toute cette longue rationalisation-explication de mon émerveillement se résume à une course à l'alien dans Londres avec des péripéties troubles publics déjà utilisés dans les tomes précédents. Miss Lilly Sing fait une brève apparition désabusée qui n'évoque plus la tentatrice asiatique dangereuse qu'Antoine Aubin avait su faire naître. Les personnages d'Evangely et de Lady Rowana sont bien diminués : pantins fatigués, ils ne semblent figurer au casting que pour que le scénariste nous précise leur sort laissé inconnu à la fin de L'Onde Septimus. L'idée de faire d'Olrik l'anti-héros marqué à jamais par la fatalité d'être la Marque jaune, qui au final se sacrifie, apparaissait déjà (et à mon sens de manière bien plus poignante) dans le tome précédent. Bien sûr il y a de la nouveauté (que je n'évoquerai pas trop pour ne gâcher à personne le plaisir de la lecture), mais ces éléments nouveaux appuient mal l'intrigue un peu essoufflée derrière laquelle le tome précédent apparaît en diminué. Sans doute aurais-je eu un avis bien plus positif en jugeant l'album indépendamment du précédent, et un lecteur occasionnel de la série dira sans doute qu'il a passé un bon moment. Mais Le Cri du Moloch est bien la suite en suspens et finalement accordée par l'éditeur d'un dyptique qui avait gagné à subir une ellipse forcée : le nœud du tout départ se résume vraiment à "en fait il y avait un deuxième vaisseau Orpheus", le côté relance commerciale l'emporte sur la tendance de vraie "partie 2".

(Enfin, le changement de dessinateur n'a pas été heureux, à mon sens. Il ne s'agit que de mes goûts personnels en matière de style de dessin, mais il a peut-être eu tendance à accroître mon sentiment de déception par rapport au tome précédent.)


Tout ça pour quoi ? Mon avis tout personnel sur Le Cri du Moloch est vous l'aurez compris assez mitigé. La lecture elle-même était agréable comme toujours avec cette série ; j'ai passé un bon moment en parcourant les dessins et les péripéties l'une après l'autre jusqu'à la fin de l'histoire. Mais je n'ai pas le sentiment que cet épisode apporte une nouvelle pierre significative à l'univers de Blake et Mortimer ou au fond de la série, et je pense que d'avoir connu le fin mot de l'intrigue Orpheus je relirais maintenant avec moins de plaisir L'Onde Septimus, volume qui n'avait déjà pas forcément fait l'unanimité parmi les fans. Peut-on de là aller jusqu'à dire que cette re-suite était de trop ?

Elle le fut pour moi.




Les plus : un graphisme toujours sympathique, un Moloch graphiquement réussi, un scénario qui apporte de la nouveauté à la série (et pour ceux que ça intéresse, Elizabeth II encore toute jeune fait un court caméo).

Les moins : des personnages moins attachants et moins profonds, l'essoufflement du filon Marque jaune, une conclusion-explication un peu simple autour d'envahisseurs de l'espace à tout le mystère des deux épisodes précédents, et enfin le sentiment de relance forcée alors que ce nouvel album se prétend être la deuxième moitié d'un couple.

Ma note : 5/10
À partir de 12 ans


Contrôle Parental :

Sexe et nudité : #
Violence et sang : #
Langage et caractère offensant : #
Alcool et drogue : #
Effrayant et scènes intenses : #


ISBN : 978-2870972922
Editions Blake et Mortimer

Le Club des métiers bizarres, G.K. Chesterton - Bizarre, bizarre...

Gilbert Keith Chesterton est un prolifique penseur britannique d'inspiration chrétienne du début du XXème siècle. Il a écrit dans une multitude de domaines ; poésie, romans policiers et journalisme suffisent largement à combler son tableau de chasse.

Avec Le club des métiers bizarres, il nous offre une série de six courts récits étranges et décalés. Dans chacun d'entre eux, le narrateur et son ami le juge Basil font diverses rencontres qui les amène à observer des situations "bizarres" ou loufoques mais toujours cocasses : une captive séquestrée qui refuse d'être libérée, un linguiste qui ne pipe plus un mot et ne s'exprime que via un étrange madison pédestre, des locateurs d'arbres, etc. Chaque récit fait intervenir à la fin une explication (presque) rationnelle au nœud loufoque qui constitue le récit et introduit chaque fois un membre de ce "club des métiers bizarres", que le narrateur ne découvre au complet qu'au terme du recueil.

L'idée de départ, en dehors des petites mésaventures racontées avec le style truculent que l'on connaît à l'auteur, est ce "club" dont les critères d'admission sont d'exercer une profession (entendez : une activité qui fournit un revenu) que jamais personne d'autre n'ait approchée de près ou de loin puis réussir à en vivre sans appoint. Et après 40 000 ans d'activité humaine sur cette terre, il faut bien l'imagination délirante de Chesterton pour imaginer des activités encore vierges (et dont on puisse tirer une bonne histoire !) à mettre en scène. Et de fait, le pari est relevé avec brio, les six récits se lisent avec agrément, le style est élégant mais sobre, plein de la retenue affectée à l'origine de l'humour pince-sans-rire britannique dont Chesterton fait usage correct. Il faut aussi tenir compte des nombreuses réflexions qui émaillent le texte et renforcent son humour, son intérêt, voire sa profondeur, sur divers tendances du monde moderne, de certains individus, ou de la société anglaise, et qui ont considérablement accru le plaisir que j'ai eu à lire Le Club des métiers bizarres.

S'il ravira certains, le livre ne satisfera probablement pas tout le monde. À noter peut-être : le ton du narrateur, les inégalités, parfois, entre les différents "métiers bizarres" en terme de qualité et de comique, et le nombre des six récits qui pourra ou laisser le lecteur sur sa faim ou lasser son intérêt pour ce concept original. En effet, les histoires peuvent sembler un peu décousues et n'aboutir qu'à un dénouement "global" décevant pour certains  il s'agit de plusieurs récits autonomes sinon indépendants et non d'un roman  à l'inverse ceux qui comme moi seront tombés sous le charme de ces cocasses mésaventures seront déçus que la conclusion du livre l'achève sur le tableau peut-être un peu maigre de six "métiers bizarres" : on a le sentiment qu'il y aurait d'autres potentialités loufoques dans d'autres directions encore.

Cela dit, j'ai beaucoup apprécié le livre, qui reste pour moi un inclassable classique de ce genre d'humour comme de Chesterton, et qu'on relira avec plaisir.


Les plus : Une idée de départ intrigante et originale, bien exploitée, une ambiance bizarre et loufoque pour qui aime ce genre d'humour, un ton agréable qui se veut par derrière délicieusement ironique pour un texte qui ne s'éloigne pas trop du style Sherlock Holmes et enfin un volume de pages pas trop épais… Une lecture de vacances.

Les moins : un nombre d'intrigues qui semblera insatisfaisant à certains, un risque de fatigue pendant la lecture, des récits peut-être inégalement intéressants. Un livre qui rend fan ou laisse un peu tiède. (Je suis du côté des fans.)




Ma note : 7/10

Pour adolescents comme adultes
 

Contrôle Parental :

Sexe et nudité : #
Violence et sang : #
Langage et caractère offensant : #
Alcool et drogue : #
Effrayant et scènes intenses : #

ISBN : 978-2070768059
Gallimard