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dimanche 20 novembre 2011

La France abîmée – Xavier Martin – La sanguinocratie expliquée


Je vous l'accorde, le titre de ma chronique ne reflète que partiellement le contenu de l'ouvrage passionnant dont je vais vous parler. La France abîmée est un livre beaucoup profond que mon titre et aborde un sujet plus vaste que la simple violence « physique », cette tristement célèbre terreur, dont ont été victimes certains de nos concitoyens lors de la révolution française.

L'ouvrage de Xavier Martin, professeur émérite des Facultés de Droit et historien, ne fait pas de bilan général de la révolution, il aborde un sujet beaucoup plus rarement évoqué : la violence morale et psychologique subie par les Français durant cette époque troublée.

Il analyse ces blessures au travers des textes d'époque : des lettres, des extraits de discours, des écrits de philosophes, des journaux tenus par de simples citoyens, des écrits d'étrangers présents en France à cette époque-là, etc... Le résultat est saisissant : on fait un voyage à travers le temps, voyage dont on ne sort pas indemne.

Xavier Martin analyse aussi le désenchantement qui suivit les premières années d'espoir. Guittard de Floriban, un bourgeois parisien, écrit par exemple dans ses papiers au sujet de Hérault de Séchelles condamné à l’échafaud en même temps que Danton : « la philosophie l'avait jeté dans la Révolution, l'orgueil l'y avait retenu, la peur l'y avait enchaîné. » Ce sentiment fut partagé par beaucoup de ses contemporains.

En décrivant cette face cachée de la Révolution, l'auteur évoque cette éternelle question : La fin justifie-t-elle les moyens ?

Les bonnes intentions de certains révolutionnaires ne suffisent pas. On est parfois surpris par le grand écart entre les propos et les actes. Robespierre combattra ainsi la peine de mort : « Ces scènes de mort qu'elle [la Justice] ordonne avec tant d'appareil ne sont autre chose que de lâches assassinats ». Pourtant, pour lui, la fin justifie les moyens, seuls les français « dociles » sont tolérés. Il dira : « la protection sociale n'est due qu'aux citoyens paisibles ». Saint-Just sera beaucoup plus clair : « Ce qui constitue une République, c'est la destruction totale de ce qui lui est opposé. » Pour se faciliter la tâche, les révolutionnaires publieront des textes de loi adaptés à leurs besoins. Un bon exemple est celles dite des « suspects » publiée le 17 septembre 1793. Elle définit ainsi ces suspects : « ceux qui soit par leur conduite, soit par leurs relations, soit par leurs propos ou leurs écrits, s'annoncent partisans de la tyrannie et ennemis de la liberté ». Autant dire que chacun est un suspect potentiel ! La loi dite de Prairal due à Couthon et Robespierre va encore plus loin. Peuvent être considérés comme des ennemis du peuple « ceux qui cherchent à anéantir la liberté publique », « ceux qui auront cherché à inspirer le découragement pour favoriser les entreprises des tyrans ligués contre la République », « ceux qui auront cherché à égarer l'opinion et à empêcher l'instruction du peuple, à dépraver les mœurs et à corrompre la conscience publique » ainsi qu'à « altérer l'énergie et la pureté des principes révolutionnaires ». Ces lois et les exécutions arbitraires qui allaient bien souvent avec eurent pour conséquences de dresser les Français les uns contre les autres, de générer une peur permanente, de pousser chacun à s'isoler afin de se faire oublier, afin de devenir insignifiant. C'est ce climat angoissant qui régnait dans cette « France abîmée » que s'attache à nous décrire Xavier Martin.

On découvre aussi que Chateaubriand écrivit «  Dans aucun temps, dans aucun pays, sous quelque forme de gouvernement que ce soit, jamais la liberté de pensée n'a été plus grande qu'en France, au temps de la monarchie. » Beaucoup de Républicains regrettèrent publiquement cet « avant ». Murat lui-même écrivit : « Sous l'ancien régime », la loi « nous laissait la défense naturelle et nous permettait la plainte ». Mirabeau écrivit regretter qu'on puisse être « proscrit pour la seule différence d'opinion ».

On lisant tous ces textes d'époque, je n'ai pu m'empêcher de faire le parallèle avec les pays de l'ancien bloc de l'est. Le parallèle est vrai pour ces lois biaisées, il l'est aussi pour cette volonté de s'attaquer à ces « talents, les lumières, la philosophie, le savoir, [qui] étaient devenu des titres de proscription et des droits à l’échafaud » (Fourcroy au Conseil des Anciens en 1976).

Xavier Martin évoque aussi les dérives de cette révolution qui, sous prétexte de « libérer » les Français, fit souvent l'inverse. Là encore, il faut laisser la parole aux républicains de l'époque. Tureau, connu pour ses « œuvres » en Vendée pensait par exemple qu'il fallait faire «  le bien du peuple, malgré le peuple ». Il fallait « le contraindre à être libre ». Saint-Just précisera qu'il fallait « ramener tout un chacun sous le joug de la liberté publique ». L'auteur de La France Abimée montre toutes les dérives engendrées par cette absence de conscience morale qui prévalait à l'époque chez les révolutionnaires, toutes les dérives engendrées par ce principe erroné qui affirme qu'est vertueux ce qui est utile.

On analyse aujourd'hui la révolution française avec le recul de l'histoire mais on oublie trop souvent qu'elle s'est faite dans le sang. Chateaubriand le regretta, lui qui dira : « il n'est point de révolution, là ou elle n'est pas opérée dans le cœur ». Le livre de Xavier Martin nous le rappelle avec talent.

Je laisserai le mot de la fin à Jean-Jacques Rousseau écrivant à Mirabeau : « je dirai comme je le crois que la paix vaut mieux que la liberté » Bien des Français on dû penser de même il y plus de deux cents ans...


Les plus : Un ouvrage historique qui se lit comme un roman ; un sujet traité avec objectivité, loin du « mythe » inattaquable de la révolution française, un vrai travail d'historien, ultra-documenté. Il donne la parole à ceux qui l'ont vécue.
Les moins : Rien

Ma note : 5/5
A partir de 16 ans.

La France abîmée
Xavier Martin
ISBN : 978-2856523124

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